2014 05 17
Atelier d’écriture, musée d’Art et d’Histoire de Lisieux
Animé par Marie-Christine Gaudin
Consignes :
Visiter la salle d’exposition temporaire. Choisir une peinture qui nous parle.
1) La décrire
2) Puis raconter une histoire sur soi à partir de cette peinture.
Durée : 50 minutes maximum
Musée d’art et d’histoire de Lisieux, premier étage, première salle à gauche au bout du couloir, attention aux trois marches. Exposition temporaire : lot de tableaux hétérogènes et d’huiles variées, bordées de cadres dorés surélevés. Passer rapidement sur la moquette grise, l’œil distrait, dans le sens des aiguilles d’une montre, autour d’un sofa carmin circulaire. Laisser l’œil errer et choisir sa lumière. C’est rapidement fait. La lumière sera normande, naturellement.
Allons-y pour la description : commençons par le cadre pour nous en débarrasser : rectangulaire, cernant une toile au format proche du faux carré, ourlé de ces moulures dorées tarabiscotées inévitables au dix-neuvième siècle. Une grande plaque, moulée en bordure elle aussi, annonce en lettres capitales pompeuses « Donné par l’empereur, 1864 ». Mais donné quoi ? Où est le nom du tableau ? Et de qui est cette peinture ? Impossible à savoir : l’empereur l’a donné, c’est le plus important, l’artiste n’a qu’a bien se tenir. Chercher le nom du peintre, déchiffrer en bas à droite du tableau l’initiale de son prénom : A petits is, probablement Alexis, de Fontenay, inconnu au bataillon, un 1864 qu’on prendrait facilement pour un 1964.
Décrivons la peinture elle-même, maintenant : une chaumière normande à l’apogée de son archétypique romantisme, éclairée d’un cône de lumière argentée, sous un vaste ciel gris, plus pâle du côté diagonalement opposé à ladite chaumière.
Au premier plan, une zone d’ombre, le terrain vague devant l’humble demeure, sans intérêt et fort à propos masqué par le passage des nuages.
A l’arrière plan, à gauche, derrière la maison, une falaise, que nos automatismes culturels associent d’emblée à Etretat, ou peut-être à Yport. Une falaise normande de craie blanche, ordinairement lumineuse, mais rendue ici sombre et mystérieuse sous un ciel opaque.
A droite, une autre falaise, plus proche, moins abrupte, moins crayeuse, en partie recouverte de végétation. A son sommet, dans une impression de lointain accentuée par un flou artistique, les ruines d’une forteresse mystérieuse : un château quelconque, abandonné, c’est ça qui compte.
Revenons à la chaumière : la lumière baigne son humble toit de paille grise, une frêle cheminée de brique fumante s’en extrait timidement, un chêne, tortueux à défaut d’être centenaire, semble protéger la bâtisse par le tendre froufroutement de son feuillage.
Une porte d’entrée, ouverte, d’un noir sidérant, happe mon regard comme un trou noir la matière environnante. Je me laisse à imaginer le pauvre mobilier intérieur, et les gens qui vivaient là. Le regard arrive à s’extraire de la profondeur de l’entrée et soudain, tout à la fin, ils m’apparaissent : les humains, les habitants, les paysans : ils étaient là, depuis le début, mais Alexis a fait en sorte qu’ils ne soient que des éléments de son tableau, dont la pièce maîtresse n’est pas l’homme mais la chaumière. Un couple, affairé. Lui à lier une gerbe de blés près de l’entrée. Elle, debout, le regarde faire, un bâton au bras et un panier plat sous le coude. Autour d’eux, le temps s’immobilise tout à fait. Le dix-neuvième siècle, dans son romantisme absolu, se fige. Il s’immortalise, sort contaminer la petite salle du musée. Il happe le spectateur volontaire, désormais prisonnier du tableau (d’où son retard), pêché au hameçon par une porte noire sous un ciel normand.