2014 08 09
Atelier d’écriture, Château de Saint-Germain le Livet
Animé par Marie-Christine Gaudin
Consigne : Inventer un personnage qui a vécu au château autrefois, et une histoire sur ce personnage.
Durée = 40 minutes
Elle se tenait devant moi, l’air grave, le menton relevé, les boucles brunes voletant autour du cou et balayant son profond décolleté.
– Non, ça ne va pas du tout. Pas du tout.
– Quoi donc, répondis-je par pure politesse, voire par automatisme social, étant la seule personne présente dans la pièce avec elle à ce moment-là.
– Le lit. Vous ne voyez pas ? Qu’est-ce qu’ils ont fait au lit ?
– Le lit ? Quel lit ?
Je tournai la tête et aperçu le baldaquin, d’une place, dans le coin de la chambre.
– Les rideaux du lit, voyez ce rouge pourpre délavé, ce rose de mauvais goût. Ils n’ont jamais eu cette couleur affreuse.
– Ah bon, vous trouvez ? Moi, ils ne me déplaisent pas, ces rideaux.
Je n’avais en réalité, bien entendu, aucune idée sûre, aucun jugement préétabli pour tout ce qui concernait le linge de maison. Serviettes, torchons, restaient pour moi identiques. Nappes, rideaux et tapis étaient interchangeables. Alors… me demander mon avis là-dessus…
– Et le dessus de lit, regardez la bande centrale, on dirait un chemin de table. Où est l’original ?
La jeune femme haussa ses délicates épaules et soupira ostensiblement. La fine dentelle d’un bleu très pâle qui ornait son corsage frémit. Un spectacle charmant, je dois l’avouer. J’oubliai momentanément les raisons de son indignation. Qui reprirent aussitôt le soupir expiré.
– Quand je pense au nombre d’heures que j’ai passé à le broder, ce dessus de lit, ils auraient pu en prendre soin, ou, pour le moins, en faire une copie digne de ce nom.
Et re soupir.
Qu’est-ce qu’il lui prenait ? Elle se la jouait grande dame snobinarde ? Princesse des contes pour enfants prisonnière de son château ? Fallait quand même pas en faire trop. D’autant plus que j’étais le seul visiteur à cette heure. Si elle cherche le prince charmant, celle-là, elle s’est trompé de bonhomme, pensai-je tellement fort que ma bouche se mouvait au rythme des protestations intérieures.
Je détournai les yeux, feignant de m’intéresser au buste de marbre blanc qui représentait un quelconque personnage célèbre, barbu et moustachu, campé sur sa console Empire plaquée acajou, devant un grand miroir doré. Rien que de très classique, finalement.
– Oh non !!
Surpris malgré moi par ce cri de détresse, je me tournai et revins à la belle.
– Le berceau !
Son émoi était contagieux. Des accents de véracité tellement poignants. On s’y croyait.
– Mon bébé n’aurait jamais dormi dans un panier d’osier ! Vous vous rendez compte ! Et ce drap blanc au-dessus ! Complètement mortuaire ! On dirait une moustiquaire des tropiques. Quelle absurdité !
– Hmm…
Que lui répondre ? Je n’y entendais rien non plus en matière de berceau, ne m’étant pas encore reproduit à cet âge.
Si la jeune femme m’avait parlé voitures, moteur à injection, turbo diesel, là, j’aurais pu donner la réplique et rendre la conversation nettement plus intéressante. Mais ses histoires de teintes d’origine et de papier peint commençaient vaguement à me saouler. Seules, ma politesse naturelle et la profondeur de son décolleté, d’origine, lui, m’empêchaient de fuir en courant et de me diriger vers une autre pièce du château.
La jeune beauté furieuse releva les yeux et détailla, cette fois-ci, le plafond.
– Ahh… tout de même. Enfin quelque chose qu’ils n’ont pas massacré.
Je tentai de participer à la conversation.
– Les poutres ? Ils ont laissé les poutres, c’est cela ?
– Pff…
Elle souffla de dédain, mais sans méchanceté. Encore une qui était sensible à mon charme intemporel de brun ténébreux. Elle tenta alors de m’expliquer :
– Mais non, quel grand nigaud vous faites ! Comment voulez-vous qu’un plafond tienne sans poutres ! Jamais ils ne pourraient les supprimer ! Je vous parle des peintures, entre les poutres. Regardez.
Je clignai des yeux vers le plafond bas et peint.
– Je vois des bandes de couleurs, dis-je le plus neutrement possible, pour ne pas me griller une fois de plus.
– Justement. C’est bien de cela dont je vous parle. Du rouge et du bleu. Ils ont respecté l’alternance : rouge bleu rouge bleu…
– L’alternance… mais pourquoi ?
– Ah, pour le bébé, bien sûr ! A l’époque, on ne savait pas le sexe de l’enfant avant la naissance. Guillaume ou Rosalie ? Ce fut Guillaume, mais, pendant ma grossesse, je mandai faire peindre le plafond des deux teintes afin de ne pas contrarier la destinée : une bande rose foncée pour la fille, une autre bleu roi pour le garçon, et le sort serait content…
Décidément, la jeune femme se donnait à fond. J’admirai malgré moi un tel professionnalisme. Mais la visite était loin d’être terminée. Encore plusieurs salles à découvrir. Avec, à chaque fois, une autre surveillante aussi impliquée dans l’histoire des lieux ? Ou était-ce seulement une animation estivale, une délégation d’intermittents du spectacle qui venaient enrichir la découverte de ces lieux par les touristes ?
Je sortis de la chambre. La jeune femme me suivit. Sans doute voulait-elle continuer la visite avec moi et me faire découvrir chaque pièce à sa manière. Elle descendit prudemment les marches, soulevant de ses bras potelés sa longue robe à crinoline, la même exactement que sur le tableau en haut de l’escalier.
– Je ne peux pas croire que c’est moi cette horreur, lança-t-elle en direction du tableau. On dirait que j’ai vingt ans de plus là-dessus. Oh… j’en ai trop vu … ça suffit ….
J’en convins intérieurement. L’actrice-surveillante était bien plus à croquer que l’austère châtelaine figée sur sa toile.
Nous passâmes devant une chaise à porteur, minuscule, en bois et cuir clouté, vitrée. L’antique chaise était logée dans un recoin sous l’escalier.
Devant la porte de la salle suivante, je m’effaçai par politesse, pour laisser passer la jeune beauté.
La pièce derrière moi était déserte.
Seule, la chaise à porteur, vide, vibrait légèrement, comme si l’on en eût ouvert et refermé rapidement la petite porte.