2014 06 14
Atelier d’écriture, musée de Lisieux
Animé par Marie-Christine Gaudin
Œuvre imposée :
Robert Salles 1898
Lisieux, temps de peste, 1630
Durée : 40 minutes pour le tout.
1) décrire, présenter l’œuvre
Un grand tableau, une huile haute de presque 3 mètres, posée sur une petite estrade blanche permettant d’incliner l’œuvre légèrement en arrière. Une peinture très sombre, dans les deux sens du terme, saturée d’ocres et de bruns. Quelques rares touches lumineuses sur les deux personnages principaux et le haut de l’image.
L’œuvre, de Robert Salles, peinte en 1898, représente Lisieux par temps de peste dans une époque plus ancienne de presque de trois siècles.
Deux personnages principaux, un groupe dans l’ombre, une ruelle tortueuse de Lisieux avec ses maisons normandes traditionnelles, un sol de terre battue, humide, suintant.
Tout en haut du tableau, par-dessus les maisons trop rapprochées, les bâtisses à encorbellements, un rayon de soleil tente de s’infiltrer. Il pourrait redonner espoir aux habitants de Lisieux, et laisser imaginer des temps meilleurs. Un avenir s’esquisse, dont nul dans cette toile ne connaît l’échéance mais que le peintre laisse entrevoir, seul rayon de lumière dans un présent de misère et de cauchemar.
2) Raconter une histoire
Gustave s’approche de la Marie affalée contre la porte de l’ancienne boutique des Vignonniers. Ah, elle était si belle, cette boutique des nouveautés, il y a quelques mois encore. Abandonnée aujourd’hui : les plus riches ont fui la ville, évidemment, dès le début de l’épidémie. Gustave n’ose aller plus près, poser la main sur l’épaule de la mourante et, dans un ultime geste de pudeur, remonter cette toile de jute sale qui découvre un torse jauni. Gustave se penche et tend l’écuelle. Il interpelle Marie.
« Tiens, la Marie, bois donc, c’est de la bonne soupe de chou qu’a fait la Fernande ce matin. Bois t’en donc une gorgée tant qu’elle est chaude ».
Marie, moribonde, n’a la force ni de tendre le bras vers le repas offert, ni même d’ouvrir les yeux et de répondre. La fièvre la brûle. Le mal la ronge. La diarrhée l’a épuisée. Les suées l’ont amaigrie. Ses quatre enfants sont partis avant elle, devant ses yeux, mère impuissante face à l’horreur. Son homme a disparu un matin, jamais revenu du champ où il travaillait, probablement à pourrir au fond d’un fossé. Le diable les a tous emportés. La peste va finir son œuvre, c’est son tour bientôt, elle le sait, elle ne lutte plus.
Gustave tente une dernière fois d’aider Marie. N’étaient-ils pas de bons voisins, il y a de cela si peu de temps ? … quelques semaines, une éternité dans l’ordre du mal.
« Aller, la Marie, bois-y donc un petit coup ».
En vain. Derrière lui, les filles de la ville, les hommes du quartier, les rares survivants, cachés, tassés, apeurés, observent la scène et les tentatives du bon Gustave. Sa femme, au premier plan, s’énerve :
« Arrête-donc, Gustave, tu vois bien qu’elle va trépasser. Reviens vite, reviens avant que l’mal y’t rattrape à ton tour. Mais qu’est-ce qu’y fait, il est fou, reviens, Gustave, laisse-là, reviens ».
Comment Gustave pourrait avouer à sa femme que Marie avait été son amante ?
3) Choisir dans le tableau un objet, un détail, un personnage, une des petites peintures : mettre le projecteur dessus, le présenter et raconter son histoire.
Objet choisi : l’écuelle
Ecuelle. Composition : terre cuite : argile 60%, kaolin 30%, résidu aqueux en fin de cuisson 10%.
Contenu : soupe au chou moyenâgeuse. Ingrédients : 80% d’eau à 70°C (au début de l’histoire, 40°C à la fin, soupe tiédasse), feuilles de chou à lapin (3 grandes feuilles), quelques pointes d’ortie pour épicer et remplacer le sel qu’on ne peut plus faire venir à Lisieux, les marchands ne sont pas fous, embargo généralisé, une pomme de terre à cochons non épluchée, arrachée de peu à l’agressif verrat, un bout de couenne de porc (dépourvue de viande), ça apprendra au verrat à bien se tenir, une tranche de pain de seigle moisi (récolte de l’été dernier, pas de cultures cette année).
Par ces temps de disette, un menu cinq étoiles.